Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
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Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Honnêtement, pour attaquer un sujet sur Rembrandt, il faut être gonflé!
Mais après tout, ce n'est pas parce que tout a été dit sur lui qu'on devrait s'abstenir d'en parler!
Comme j'appréhende un peu tout de même, je commencerai par ce chemin détourné, ce face à face surprenant au Rijksmuseum entre, d'un côté, une oeuvre récente de Kapoor, et de l'autre quelques chefs d'oeuvre de Rembrandt :
Mais après tout, ce n'est pas parce que tout a été dit sur lui qu'on devrait s'abstenir d'en parler!
Comme j'appréhende un peu tout de même, je commencerai par ce chemin détourné, ce face à face surprenant au Rijksmuseum entre, d'un côté, une oeuvre récente de Kapoor, et de l'autre quelques chefs d'oeuvre de Rembrandt :
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Mer 21 Déc 2016 - 12:32, édité 3 fois
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Afin qu'il n'y ait pas de malentendu, je précise. Je n'ai rien contre les confrontations art contemporain / art ancien. Au contraire, ce peut être très intéressant quand c'est fait avec finesse, comme l'intervention de Pignon Ernest au musée de Montauban, ou bien les confrontations que propose le petit musée de Digne entre art et science (Fontcuberta).
Mais là, c'était si pesant que les bras m'en sont tombés! Une impression d'arrogance, de prétention, j'en avais presque honte pour l'art contemporain!
Mais là, c'était si pesant que les bras m'en sont tombés! Une impression d'arrogance, de prétention, j'en avais presque honte pour l'art contemporain!
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Mer 21 Déc 2016 - 12:47, édité 1 fois
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Les tableaux de Rembrandt me font l'impression de "surclasser" tout le reste. Rien, ou pas grand chose, ne supporte la comparaison. Tous les autres peintres peuvent aller se rhabiller!
Mais pourquoi? Qu'est ce qui, chez lui, produit un effet si fort et toujours renouvelé? C'est ce que je voudrais tenter d'explorer ici, sur un mode simple et subjectif...
Mais pourquoi? Qu'est ce qui, chez lui, produit un effet si fort et toujours renouvelé? C'est ce que je voudrais tenter d'explorer ici, sur un mode simple et subjectif...
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Jean-Yves Amir a écrit:Afin qu'il n'y ait pas de malentendu, je précise. Je n'ai rien contre les confrontations art contemporain / art ancien. Au contraire, ce peut être très intéressant quand c'est fait avec finesse, comme l'intervention de Pignon Ernest au musée de Montauban, ou bien les confrontations que propose le petit musée de Digne entre art et science (Fontcuberta).
Mais là, c'était si pesant que les bras m'en sont tombés! Une impression d'arrogance, de prétention, j'en avais presque honte pour l'art contemporain!
De plus le parallèle est très limité. L'anatomie est ordonnée. Une bonne leçon d'anatomie sur cadavre est très structurée. Alors que les chairs de la sculpture ne sont pas vraiment ordonnées... de l'anatomie à la grenade, façon puzzle...
Jean-Yves Amir a écrit:Les tableaux de Rembrandt me font l'impression de "surclasser" tout le reste. Rien, ou pas grand chose, ne supporte la comparaison. Tous les autres peintres peuvent aller se rhabiller!
Mais pourquoi? Qu'est ce qui, chez lui, produit un effet si fort et toujours renouvelé? C'est ce que je voudrais tenter d'explorer ici, sur un mode simple et subjectif...
Je vais suivre ton sujet attentivement. Je laisse un peu le gros sujet norvégien pour passer du mode rédacteur au mode lecteur.
Northman- Messages : 547
Date d'inscription : 17/05/2015
Age : 61
Localisation : Normandie
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Northman a écrit:
Je vais suivre ton sujet attentivement. Je laisse un peu le gros sujet norvégien pour passer du mode rédacteur au mode lecteur.
Oui, ou lecteur actif : on peut tâcher de le faire ensemble, sous forme de dialogue à plusieurs, en essayant d'échanger nos impressions.
Je propose de commencer par cette oeuvre de Rembrandt qu'on a vue sur une des photos ci-dessus, en face des Kapoor.
REMBRANDT 1662 LES SYNDICS DE LA GUILDE DES DRAPIERS
Et de la comparer avec celle-ci que j'ai photographiée au Mauritshuis de La Haye
JAN DE BRAY 1663 LES REGENTS DE L'ORPHELINAT DE HAARLEM
Ce sont deux oeuvres de commande, presque de la même année. Leurs sujets sont très proches, deux portraits de groupes, six personnages, une table au milieu. La seconde est une belle peinture du 17ème siècle hollandais, la première est un Rembrandt.
Y a t-il entre ces deux oeuvres une différence de qualité, et si oui, où réside-t-elle?
( en faisant comme on peut avec les photos, je sais bien, ce serait mieux d'avoir les originaux sous les yeux!)
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Mar 23 Fév 2016 - 21:14, édité 1 fois
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Le premier truc frappant, je crois, c'est le point de vue en contreplongée qu'adopte Rembrandt. Il place le regard du spectateur en dessous du niveau de la table, alors que celui de Jan de Bray est plus conventionnel: la même hauteur que ses personnages, comme si le spectateur était assis parmi eux, ou juste un peu à côté, à peine un peu plus bas qu'eux.
De plus, en regardant bien, on se rend compte que la table n'est pas orientée de la même manière : Rembrandt la tourne vers nous et la représente en raccourci.
De plus, en regardant bien, on se rend compte que la table n'est pas orientée de la même manière : Rembrandt la tourne vers nous et la représente en raccourci.
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Je ne sais pas si c'est perceptible sur ces photos, mais je peux témoigner que c'est sensible devant les oeuvres.
Les personnages de Rembrandt ont quelque chose d'impérieux, ils interpellent le spectateur et lui réclament -exigent même - son attention. Les régents de Jan de Bray, eux, posent et restent comme en retrait. Ils sont expressifs mais neutres. Vous pouvez passer devant eux en toute indifférence. Tandis que les drapiers de Rembrandt s'adressent à vous, à toi, te mettent la pression personnellement, si je peux dire. C'est en partie lié à la contreplongée. Mais c'est aussi l'effet produit par la mise en scène et l'expression de chacun des personnages. Ils ont quelque chose de dérangeant, d'inquisiteur...
Un air de te demander: "Mais que fais tu là? mais puisque tu y es, et bien maintenant regarde!"
Et d'insister: "Regarde vraiment!"
Rembrandt interpelle en passant du vous au tu.
Les personnages de Rembrandt ont quelque chose d'impérieux, ils interpellent le spectateur et lui réclament -exigent même - son attention. Les régents de Jan de Bray, eux, posent et restent comme en retrait. Ils sont expressifs mais neutres. Vous pouvez passer devant eux en toute indifférence. Tandis que les drapiers de Rembrandt s'adressent à vous, à toi, te mettent la pression personnellement, si je peux dire. C'est en partie lié à la contreplongée. Mais c'est aussi l'effet produit par la mise en scène et l'expression de chacun des personnages. Ils ont quelque chose de dérangeant, d'inquisiteur...
Un air de te demander: "Mais que fais tu là? mais puisque tu y es, et bien maintenant regarde!"
Et d'insister: "Regarde vraiment!"
Rembrandt interpelle en passant du vous au tu.
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Sam 5 Mar 2016 - 19:47, édité 4 fois
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Ce même caractère impérieux, on le retrouve dans les autoportraits ou, par exemple, dans ce "tronie".
Un air de te demander: "Et alors, qu'est ce qu'elle a ma gueule? il te plait pas mon chapeau?"
J'y reviendrai.
REMBRANDT 1635 40 TRONIE D'UN HOMME AU CHAPEAU A PLUMES
Un air de te demander: "Et alors, qu'est ce qu'elle a ma gueule? il te plait pas mon chapeau?"
J'y reviendrai.
REMBRANDT 1635 40 TRONIE D'UN HOMME AU CHAPEAU A PLUMES
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Dans le tableau de Jan de Bray, si tu ne fais pas encore partie du groupe, cela ne saurait tarder. Pas de souci, le régent qui tient le registre s'apprête à y inscrire ton nom.
Par contre, dans "Les Syndics de la guilde des drapiers" les choses s'annoncent plus compliquées : on te tutoie tout en te regardant de haut et en te tenant à bonne distance grâce à la table placée là en travers... Rapprochement / éloignement : une tension s'instaure.
Rembrandt a laissé peu d'écrits, à peine quelques lettres où il parle peu de son art. On connait de lui cette citation (de Paillot de Montabert): "Un tableau n'est pas fait pour être flairé; reculez-vous: l'odeur de la peinture n'est pas saine"
Or, venir flairer la peinture, c'est exactement ce qu'on est tenté de faire devant ses tableaux!
Encore une question de distance...
De près comme de loin, la nappe peinte par Jan de Bray reste égale à elle même. Elle est traitée de façon descriptive, méticuleusement.
Celle de Rembrandt, c'est tout autre chose. Elle change de nature quand on s'en approche. Son velours devient sang, chair triturée par les outils ou les doigts du peintre. Et lui, on le sent là, présent.
Par contre, dans "Les Syndics de la guilde des drapiers" les choses s'annoncent plus compliquées : on te tutoie tout en te regardant de haut et en te tenant à bonne distance grâce à la table placée là en travers... Rapprochement / éloignement : une tension s'instaure.
Rembrandt a laissé peu d'écrits, à peine quelques lettres où il parle peu de son art. On connait de lui cette citation (de Paillot de Montabert): "Un tableau n'est pas fait pour être flairé; reculez-vous: l'odeur de la peinture n'est pas saine"
Or, venir flairer la peinture, c'est exactement ce qu'on est tenté de faire devant ses tableaux!
Encore une question de distance...
De près comme de loin, la nappe peinte par Jan de Bray reste égale à elle même. Elle est traitée de façon descriptive, méticuleusement.
Celle de Rembrandt, c'est tout autre chose. Elle change de nature quand on s'en approche. Son velours devient sang, chair triturée par les outils ou les doigts du peintre. Et lui, on le sent là, présent.
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Sam 12 Nov 2016 - 13:46, édité 3 fois
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
En y réfléchissant, cette tension "rapprochement / éloignement" me semble être un trait fondamental de l'art de Rembrandt. Un trait singulier car il me semble que rares sont les peintres qui en ont joué.
Pour bien le comprendre, il faut peut-être rappeler qu'un tableau est une réalité matérielle que l'on regarde en face à face, et non pas une image virtuelle aux dimensions élastiques. Le tableau, tout tableau, instaure une distance particulière au spectateur. Pour donner une exemple simple et évident, la Dentellière de Vermeer, qui mesure 21x24cm ne se regarde pas de la même façon que le Radeau de la Méduse de Géricault qui mesure, lui, 491x716cm. La reproduction des images tend à faire oublier ce phénomène pourtant essentiel. Voici ces deux oeuvres rapportées à des dimensions similaires:
Cette distance de vision instaurée par le peintre est stable dans la plupart des cas et à peu près égale sur toute la surface du tableau, mis à part parfois des effets de flou pour suggérer la distance, dans les paysages en particulier.
Chez Bosch, par exemple, tout est toujours net jusqu'au plus infime détail, et quelle que soit sa distance. En photographie, on dirait que la profondeur de champ englobe tout l'espace de représentation.
BOSCH 1510 LE JARDIN DES DELICES
DETAIL DU JARDIN DES DELICES
Chez Carrière, à l'inverse, rien ou presque ne semble pouvoir être net. Tout se passe comme si l'oeil était trop proche pour parvenir à accommoder convenablement.
CARRIERE 1890 MERE ET ENFANT
Pour bien le comprendre, il faut peut-être rappeler qu'un tableau est une réalité matérielle que l'on regarde en face à face, et non pas une image virtuelle aux dimensions élastiques. Le tableau, tout tableau, instaure une distance particulière au spectateur. Pour donner une exemple simple et évident, la Dentellière de Vermeer, qui mesure 21x24cm ne se regarde pas de la même façon que le Radeau de la Méduse de Géricault qui mesure, lui, 491x716cm. La reproduction des images tend à faire oublier ce phénomène pourtant essentiel. Voici ces deux oeuvres rapportées à des dimensions similaires:
Cette distance de vision instaurée par le peintre est stable dans la plupart des cas et à peu près égale sur toute la surface du tableau, mis à part parfois des effets de flou pour suggérer la distance, dans les paysages en particulier.
Chez Bosch, par exemple, tout est toujours net jusqu'au plus infime détail, et quelle que soit sa distance. En photographie, on dirait que la profondeur de champ englobe tout l'espace de représentation.
BOSCH 1510 LE JARDIN DES DELICES
DETAIL DU JARDIN DES DELICES
Chez Carrière, à l'inverse, rien ou presque ne semble pouvoir être net. Tout se passe comme si l'oeil était trop proche pour parvenir à accommoder convenablement.
CARRIERE 1890 MERE ET ENFANT
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Jeu 10 Mar 2016 - 21:41, édité 2 fois
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Et bien Rembrandt, lui, utilise ces variations de distance ou d'accommodation comme stratégie expressive.
En voici un exemple saisissant. Dans ce tableau Vieille femme lisant, il décrit avec une extrême précision les rides de la main posée sur le livre, alors que les traits du visage de la femme, pourtant à la même distance, sont à peine indiqués.
REMBRANDT 1631 VIEILLE FEMME LISANT
En voici un exemple saisissant. Dans ce tableau Vieille femme lisant, il décrit avec une extrême précision les rides de la main posée sur le livre, alors que les traits du visage de la femme, pourtant à la même distance, sont à peine indiqués.
REMBRANDT 1631 VIEILLE FEMME LISANT
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Dim 6 Mar 2016 - 21:56, édité 1 fois
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Ce procédé que je percevais de manière intuitive, j'en ai trouvé confirmation dans cet article de Loïc Mangin dans le n°396 de la revue "Pour la science".
http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-les-yeux-de-rembrandt-25905.php
En voici quelques extraits:
Le maître flamand jouait sur les textures, associant zones détaillées et zones plus floues, pour guider le regard des spectateurs. Lorsque nous regardons un paysage ou une œuvre d’art, nous n’en avons pas une vision uniformément détaillée. En effet, la rétine ne dispose que d’une petite zone (de la taille de l’ongle du pouce vu au bout du bras tendu) où la densité de cellules réceptrices est suffisante pour nous fournir une image précise. Aussi, nos yeux doivent-ils parcourir, par une série de mouvements rapides alternant avec des moments fixes, l’ensemble d’une scène pour que nous en ayons une perception globale. Le regard est donc un processus interactif dans lequel l’image mentale d’un tableau dépend notablement de la succession des phases de fixation.Plusieurs artistes contemporains exploitent ce fonctionnement de la vision dans la conception de leurs œuvres. (...)
Ce type de stratagème est-il réservé aux peintres de notre époque au fait des travaux des neurobiologistes et des spécialistes de la perception ? D’autres peintres ont-ils exploité la texture et le niveau de détail dans une peinture pour diriger le regard du public ? Selon Steve DiPaola, de l’Université Simon Fraser, à Vancouver, et ses collègues du Vision Lab de l’Université de Colombie-Britannique, au Canada, le pionnier serait Rembrandt !
Pour le montrer, ils ont analysé plusieurs portraits et autoportraits du maître flamand (page ci-contre, portrait daté de 1659) afin d’identifier les facteurs qui expliqueraient leur attrait.
Une de leurs expériences a consisté à « recréer » quatre des plus célèbres portraits de l’artiste avec des photographies (...). Sur ces copies, un programme informatique permettait d’accentuer le détail de certaines zones, par exemple les yeux ou le bas des joues , et d’en rendre plus floues d’autres de façon à retrouver la texture des œuvres originales (...).
Ces différents portraits, « à la Rembrandt » ou non, ont ensuite été présentés à des spectateurs dont les mouvements oculaires étaient enregistrés avec des caméras ultrarapides. Qu’ont révélé ces instruments ?
Face à un portrait reproduisant la technique du peintre, les yeux atteignent plus rapidement la zone riche en détails qu’avec une photo uniformément accentuée. De plus, une fois cette zone précise perçue, l’œil s’y attarde beaucoup plus longuement qu’ailleurs, ralentissant la succession de saccades : le regard se pose. En outre, la transition de zones au contraste marqué vers celles moins tranchées guiderait le regard à travers le portrait. On parle de technique aux « bords perdus et retrouvés ».
De plus, les observateurs ont préféré les portraits où leur regard est pris en charge plutôt que les photographies uniformes. L’emploi de textures différentes selon les régions du tableau est peut-être un des secrets du plus célèbre des peintres du XVII eme siècle. Rembrandt a probablement développé cette technique par tâtonnements, en suivant son intuition, et peut-être en réfléchissant aux mouvements de ses propres yeux. Néanmoins, l’examen d’autres tableaux montre que l’adoption du procédé a été progressive. En effet, un de ses autoportraits, peint en 1629, est uniforme et détaillé de la même façon quelle que soit la région. À l’inverse, sur un autoportrait plus tardif daté de 1661, les textures varient.
Le détail de ces expériences et leur illustration se trouve ici
http://dipaola.org/lab/research/rembrandt/
http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-les-yeux-de-rembrandt-25905.php
En voici quelques extraits:
Le maître flamand jouait sur les textures, associant zones détaillées et zones plus floues, pour guider le regard des spectateurs. Lorsque nous regardons un paysage ou une œuvre d’art, nous n’en avons pas une vision uniformément détaillée. En effet, la rétine ne dispose que d’une petite zone (de la taille de l’ongle du pouce vu au bout du bras tendu) où la densité de cellules réceptrices est suffisante pour nous fournir une image précise. Aussi, nos yeux doivent-ils parcourir, par une série de mouvements rapides alternant avec des moments fixes, l’ensemble d’une scène pour que nous en ayons une perception globale. Le regard est donc un processus interactif dans lequel l’image mentale d’un tableau dépend notablement de la succession des phases de fixation.Plusieurs artistes contemporains exploitent ce fonctionnement de la vision dans la conception de leurs œuvres. (...)
Ce type de stratagème est-il réservé aux peintres de notre époque au fait des travaux des neurobiologistes et des spécialistes de la perception ? D’autres peintres ont-ils exploité la texture et le niveau de détail dans une peinture pour diriger le regard du public ? Selon Steve DiPaola, de l’Université Simon Fraser, à Vancouver, et ses collègues du Vision Lab de l’Université de Colombie-Britannique, au Canada, le pionnier serait Rembrandt !
Pour le montrer, ils ont analysé plusieurs portraits et autoportraits du maître flamand (page ci-contre, portrait daté de 1659) afin d’identifier les facteurs qui expliqueraient leur attrait.
Une de leurs expériences a consisté à « recréer » quatre des plus célèbres portraits de l’artiste avec des photographies (...). Sur ces copies, un programme informatique permettait d’accentuer le détail de certaines zones, par exemple les yeux ou le bas des joues , et d’en rendre plus floues d’autres de façon à retrouver la texture des œuvres originales (...).
Ces différents portraits, « à la Rembrandt » ou non, ont ensuite été présentés à des spectateurs dont les mouvements oculaires étaient enregistrés avec des caméras ultrarapides. Qu’ont révélé ces instruments ?
Face à un portrait reproduisant la technique du peintre, les yeux atteignent plus rapidement la zone riche en détails qu’avec une photo uniformément accentuée. De plus, une fois cette zone précise perçue, l’œil s’y attarde beaucoup plus longuement qu’ailleurs, ralentissant la succession de saccades : le regard se pose. En outre, la transition de zones au contraste marqué vers celles moins tranchées guiderait le regard à travers le portrait. On parle de technique aux « bords perdus et retrouvés ».
De plus, les observateurs ont préféré les portraits où leur regard est pris en charge plutôt que les photographies uniformes. L’emploi de textures différentes selon les régions du tableau est peut-être un des secrets du plus célèbre des peintres du XVII eme siècle. Rembrandt a probablement développé cette technique par tâtonnements, en suivant son intuition, et peut-être en réfléchissant aux mouvements de ses propres yeux. Néanmoins, l’examen d’autres tableaux montre que l’adoption du procédé a été progressive. En effet, un de ses autoportraits, peint en 1629, est uniforme et détaillé de la même façon quelle que soit la région. À l’inverse, sur un autoportrait plus tardif daté de 1661, les textures varient.
Le détail de ces expériences et leur illustration se trouve ici
http://dipaola.org/lab/research/rembrandt/
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Mar 20 Déc 2016 - 17:23, édité 2 fois
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Très intéressant. La main de la femme est aussi très éclairée, avec une partie du livre, alors que le visage de la Vieille femme lisant semble plus dans l'ombre.
Dernière édition par Northman le Dim 6 Mar 2016 - 21:22, édité 1 fois
Northman- Messages : 547
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Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Pour ce qui concerne l'éclairage de la main et la pénombre du visage, oui, tu as raison. Le clair-obscur est bien sûr un des procédés utilisés par le peintre pour guider le regard du spectateur. Mais il n'explique pas tout.
Je suis très content d'avoir trouvé cette étude sur les variations de définition des textures comme "stratagème pictural" disons. Mais mon intérêt et mon étonnement grandissent encore en découvrant que Rembrandt aurait souffert de strabisme divergent. Je garde le conditionnel, car cela reste hypothétique et contesté... Néanmoins, je ne peux m'empêcher de trouver un lien entre cette hypothèse et mes remarques précédentes sur les effets de distance et la tension "rapprochement / éloignement" sensible dans de nombreuses oeuvres du peintre.
Sur le strabisme divergent de Rembrandt, voir cette étude de Margaret Livingstone résumée ici
http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJM200409163511224
Je suis très content d'avoir trouvé cette étude sur les variations de définition des textures comme "stratagème pictural" disons. Mais mon intérêt et mon étonnement grandissent encore en découvrant que Rembrandt aurait souffert de strabisme divergent. Je garde le conditionnel, car cela reste hypothétique et contesté... Néanmoins, je ne peux m'empêcher de trouver un lien entre cette hypothèse et mes remarques précédentes sur les effets de distance et la tension "rapprochement / éloignement" sensible dans de nombreuses oeuvres du peintre.
Sur le strabisme divergent de Rembrandt, voir cette étude de Margaret Livingstone résumée ici
http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJM200409163511224
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Mer 21 Déc 2016 - 14:31, édité 7 fois
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Jean-Yves Amir a écrit:
Pour ce qui concerne l'éclairage de la main et la pénombre du visage, oui, tu as raison. Le clair-obscur est bien sûr un des procédés utilisés par le peintre pour guider le regard du spectateur. Mais il n'explique pas tout.
Je suis très content d'avoir trouvé cette étude sur les variations de définition des textures comme "stratagème pictural" disons.
Aurais-tu un autre exemple chez Rembrandt, pour lequel le paramètre clair-obscur interviendrait moins, mettant ainsi mieux en valeur le paramètre de définition des textures ?
Northman- Messages : 547
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Localisation : Normandie
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Northman a écrit:
Aurais-tu un autre exemple chez Rembrandt, pour lequel le paramètre clair-obscur interviendrait moins, mettant ainsi mieux en valeur le paramètre de définition des textures ?
La précision est liée à la lumière, nécessairement, puisque c'est elle qui permet d'accrocher les détails des textures. Il se produit néanmoins, même en pleine lumière, des "décrochements" étonnants. Le premier exemple que je te donnerai est le même
Compare le traitement de la main avec celui des écritures sur le livre, réduites à de simples lignes, alors qu'elles sont sous le même éclairage.
Un autre exemple ci-dessous.
REMBRANDT 1650 53 SAUL ET DAVID
Le turban de Saul n'est pourtant guère plus éclairé que sa cape rouge, leur différence de traitement est incroyable. Tandis que le premier donne un rendu précis du chatoiement des étoffes, les plis de la seconde ne sont suggérés que par quelques larges coups de brosse.
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Toujours sur le strabisme de Rembrandt:
Source Pascal GRASLAND - Lycée Marie CURIE de VIRE http://p.jean2.pagesperso-orange.fr/vae/cours/visionrel.pdf
Le peintre hollandais Rembrandt (1606-1669) souffrait d’un strabisme divergent. Ce trouble, mis en évidence par Margaret Livingstone http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJM200409163511224 (chercheur à l’école de médecine de l’Université Harvard) sur des autoportraits, aurait entravé la vision stéréoscopique du peintre et contribué à son génie de la représentation en deux dimensions des trois dimensions de l’espace. Etait-ce un inconvénient pour l’artiste?
Vraisemblablement pas. En effet, pour représenter sur une toile à deux dimensions une scène tridimensionnelle, un peintre a souvent l’habitude de la regarder en fermant un œil. La vision stéréoscopique devenant alors inopérante, il pourra mieux "écraser" le relief. Rembrandt ayant une vision stéréoscopique absente ou très mauvaise, a pu se passer de ce stratagème que la plupart des professeurs d’art enseignent à leurs élèves. Il voyait automatiquement les scènes en deux dimensions et n’avait donc aucune difficulté à les transposer sur la toile. Selon une étude américaine, l’examen de 53 photographies de peintres célèbres a révélé un strabisme pour 28% d’entre eux alors que la prévalence dans la population est seulement de 5%!
Doit-on en conclure que les peintres sont avantagés par une vision stéréoscopique défaillante? Difficile à dire, mais avant d’emmener votre enfant atteint de strabisme chez un ophtalmologiste, donnez-lui des pinceaux!
Source Pascal GRASLAND - Lycée Marie CURIE de VIRE http://p.jean2.pagesperso-orange.fr/vae/cours/visionrel.pdf
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Au-delà de ces questions de stratégie picturale ou de perturbation de la vision stéréoscopique, j'ai le sentiment que Rembrandt a développé une sorte d'angoisse de la cécité. C'est impossible à démontrer, mais la récurrence du thème de l'aveugle ou du borgne dans ses oeuvres est tout de même frappante.
Il apparait dans des dessins, à travers des scènes de rue:
REMBRANDT 1631 AVEUGLE JOUANT DU VIOLON
REMBRANDT AVEUGLE JOUANT DU VIOLON
Ou bien à travers des scènes bibliques, en particulier le personnage de Tobie:
REMBRANDT 1651 TOBIE AVEUGLE
REMBRANDT 1651 TOBIE AVEUGLE DE DOS
REMBRANDT JACOB BENISSANT LES FILS DE JOSEPH
Son expression la plus violente réside sans doute dans cette oeuvre terrible:
REMBRANDT 1636 L AVEUGLEMENT DE SAMSON
REMBRANDT 1636 L AVEUGLEMENT DE SAMSON (détail)
Et puis bien-sûr ici:
REMBRANDT 1661 62 LA CONJURATION DE CLAUDIUS CIVILIS
REMBRANDT 1661 62 LA CONJURATION DE CLAUDIUS CIVILIS (détail)
Mais le thème émerge aussi de façon métaphorique:
REMBRANDT 1650 53 SAUL ET DAVID (détail)
Il apparait dans des dessins, à travers des scènes de rue:
REMBRANDT 1631 AVEUGLE JOUANT DU VIOLON
REMBRANDT AVEUGLE JOUANT DU VIOLON
Ou bien à travers des scènes bibliques, en particulier le personnage de Tobie:
REMBRANDT 1651 TOBIE AVEUGLE
REMBRANDT 1651 TOBIE AVEUGLE DE DOS
REMBRANDT JACOB BENISSANT LES FILS DE JOSEPH
Son expression la plus violente réside sans doute dans cette oeuvre terrible:
REMBRANDT 1636 L AVEUGLEMENT DE SAMSON
REMBRANDT 1636 L AVEUGLEMENT DE SAMSON (détail)
Et puis bien-sûr ici:
REMBRANDT 1661 62 LA CONJURATION DE CLAUDIUS CIVILIS
REMBRANDT 1661 62 LA CONJURATION DE CLAUDIUS CIVILIS (détail)
Mais le thème émerge aussi de façon métaphorique:
REMBRANDT 1650 53 SAUL ET DAVID (détail)
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Ces relations que j'essaie d'établir entre les stratégies picturales flou/net de Rembrandt, son strabisme supposé et son angoisse de la cécité, sont bien entendu des relations "hypothétiques intuitives" que je serais bien en peine de démontrer plus avant.
De même, les questions d' "oeil paresseux" / strabisme / amblyopie / cataracte dépassent largement mes compétences médicales. Néanmoins, le nombre de dessins de Rembrandt représentant l'opération de la cataracte montre bien que cela devait constituer une sérieuse préoccupation pour lui.
A ce sujet, on lira avec intérêt l'article "L'opération de la cataracte à travers l'oeuvre de Rembrandt" sur le site du SNOF (Syndicat National des Ophtalmologistes de France) auquel j'ai emprunté les images ci-dessus.
http://www.snof.org/encyclopedie/lop%C3%A9ration-de-la-cataracte-%C3%A0-travers-loeuvre-de-rembrandt
De même, les questions d' "oeil paresseux" / strabisme / amblyopie / cataracte dépassent largement mes compétences médicales. Néanmoins, le nombre de dessins de Rembrandt représentant l'opération de la cataracte montre bien que cela devait constituer une sérieuse préoccupation pour lui.
A ce sujet, on lira avec intérêt l'article "L'opération de la cataracte à travers l'oeuvre de Rembrandt" sur le site du SNOF (Syndicat National des Ophtalmologistes de France) auquel j'ai emprunté les images ci-dessus.
http://www.snof.org/encyclopedie/lop%C3%A9ration-de-la-cataracte-%C3%A0-travers-loeuvre-de-rembrandt
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Mer 21 Déc 2016 - 15:30, édité 3 fois
Re: Hollandaise 2 : Rembrandt de près ou de loin, stabisme et angoisse de la cécité
Voir Rembrandt de près ou de loin?
Il vous suffit de faire un saut au Rijksmuseum d'Amsterdam via Google Street View!
https://www.google.fr/intl/fr/streetview/#rijksmuseum-amsterdam/rijksmuseum-night-watch-gallery
Il vous suffit de faire un saut au Rijksmuseum d'Amsterdam via Google Street View!
https://www.google.fr/intl/fr/streetview/#rijksmuseum-amsterdam/rijksmuseum-night-watch-gallery
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