O Etude de "Spring" (1978)
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O Etude de "Spring" (1978)
WYETH 1978 SPRING
Nous avons déjà croisé ce tableau d'Andrew Wyeth à plusieurs reprises et commencé à le contextualiser. J'aimerais cependant que Jean-Yves nous guide d'abord dans une étude de cette oeuvre prise à l'état brut, en dehors de son contexte. Puis nous pourrions ensuite revenir sur ce dernier, l'approfondir, et peut-être ainsi enrichir encore notre compréhension de Spring.
Northman- Messages : 547
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Re: O Etude de "Spring" (1978)
Je vais voir ce que je peux trouver à te répondre...
C'est une peinture très dépouillée qui frappe par sa simplicité, l'absence de tout effet superflu. Le format est de 61x121,9cm, soit un rapport de 1/2, très en longueur.
Un homme âgé est allongé au premier plan, dans la moitié inférieure du tableau. Son corps est légèrement incliné, pas tout à fait parallèle au cadre. Ses jambes, ses bras et sa tête - nus - émergent d'une nappe de neige fondue. En arrière plan s'étend une butte d'herbe rase brunâtre traversée par un chemin ou une trace. Cette trace, marquée d'une empreinte de pneu, semble revenir sur la droite, en avant plan tout près du corps, après être sortie du cadre. On distingue au loin, au sommet de la butte, une autre nappe de neige. En haut à gauche seul un très fin croissant de lune vient interrompre l'uniformité d'un ciel beige clair.
C'est une peinture très dépouillée qui frappe par sa simplicité, l'absence de tout effet superflu. Le format est de 61x121,9cm, soit un rapport de 1/2, très en longueur.
Un homme âgé est allongé au premier plan, dans la moitié inférieure du tableau. Son corps est légèrement incliné, pas tout à fait parallèle au cadre. Ses jambes, ses bras et sa tête - nus - émergent d'une nappe de neige fondue. En arrière plan s'étend une butte d'herbe rase brunâtre traversée par un chemin ou une trace. Cette trace, marquée d'une empreinte de pneu, semble revenir sur la droite, en avant plan tout près du corps, après être sortie du cadre. On distingue au loin, au sommet de la butte, une autre nappe de neige. En haut à gauche seul un très fin croissant de lune vient interrompre l'uniformité d'un ciel beige clair.
Re: O Etude de "Spring" (1978)
Du côté iconographique, il y a des choses intéressantes à creuser. Voici les premières idées qui me viennent.
Les images de corps allongé, seul sans aucun autre personnage autour de lui, et sur un plan parallèle à celui du tableau, sont assez rares en peinture. La grande référence est ce Christ mort de Hans Holbein, qui se trouve au Kunstmuseum de Bâle.
HOLBEIN HANS 1521 LE CHRIST MORT
Cette figure est beaucoup plus fréquente en sculpture, c'est celle des gisants. Là, les exemples sont innombrables. Ce sont des oeuvres à caractère funéraire, où le corps allongé représente celui du mort.
Voici deux exemples:
GISANTS DE L'EGLISE DE BROU PHILIBERT ET MARGUERITE
Celui-ci est assez étonnant car il s'agit d'un gisant sous la neige, suggérée par la sculpture subtile du marbre:
JACOPIN ACHILLE 1916 LE LINCEUL
Dans un autre registre, la référence qui me vient est celle de ces scènes de batailles napoléoniennes où l'on voit des corps de soldats morts dans la neige. Comme par exemple ce tableau de Gros.
GROS 1808 LA BATAILLE D'EYLAU DETAIL
GROS 1808 LA BATAILLE D'EYLAU
Les images de corps allongé, seul sans aucun autre personnage autour de lui, et sur un plan parallèle à celui du tableau, sont assez rares en peinture. La grande référence est ce Christ mort de Hans Holbein, qui se trouve au Kunstmuseum de Bâle.
HOLBEIN HANS 1521 LE CHRIST MORT
Cette figure est beaucoup plus fréquente en sculpture, c'est celle des gisants. Là, les exemples sont innombrables. Ce sont des oeuvres à caractère funéraire, où le corps allongé représente celui du mort.
Voici deux exemples:
GISANTS DE L'EGLISE DE BROU PHILIBERT ET MARGUERITE
Celui-ci est assez étonnant car il s'agit d'un gisant sous la neige, suggérée par la sculpture subtile du marbre:
JACOPIN ACHILLE 1916 LE LINCEUL
Dans un autre registre, la référence qui me vient est celle de ces scènes de batailles napoléoniennes où l'on voit des corps de soldats morts dans la neige. Comme par exemple ce tableau de Gros.
GROS 1808 LA BATAILLE D'EYLAU DETAIL
GROS 1808 LA BATAILLE D'EYLAU
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Dim 26 Mar 2017 - 15:43, édité 4 fois
Re: O Etude de "Spring" (1978)
Mais paradoxalement, Spring n'est pas un tableau mortuaire.
Mon premier sentiment, lorsque je l'ai découvert, a été un sentiment d'étrangeté mêlée d'humour, presque de drôlerie. Ce corps étendu dans la neige n'est pas mort. On dirait plutôt que ce vieil homme s'est laissé recouvrir -ou même s'est fait ensevelir - par la neige pour prendre un bain rafraîchissant. On dirait qu'au printemps la neige ayant fondu, ce corps réapparaît, mais vivant, comme une fleur ressort de terre après l'hiver, comme un perce-neige....
Ces oeuvres de Goldsworthy, où l'artiste laisse l'empreinte de son corps dans la neige, sont peut-être plus proches de l'effet produit par le tableau de Wyeth:
GOLDSWORTHY 1988
GOLDSWORTHY 1988
Mon premier sentiment, lorsque je l'ai découvert, a été un sentiment d'étrangeté mêlée d'humour, presque de drôlerie. Ce corps étendu dans la neige n'est pas mort. On dirait plutôt que ce vieil homme s'est laissé recouvrir -ou même s'est fait ensevelir - par la neige pour prendre un bain rafraîchissant. On dirait qu'au printemps la neige ayant fondu, ce corps réapparaît, mais vivant, comme une fleur ressort de terre après l'hiver, comme un perce-neige....
Ces oeuvres de Goldsworthy, où l'artiste laisse l'empreinte de son corps dans la neige, sont peut-être plus proches de l'effet produit par le tableau de Wyeth:
GOLDSWORTHY 1988
GOLDSWORTHY 1988
Re: O Etude de "Spring" (1978)
Tous ces rapprochements sont très intéressants et mettent à profit ta belle érudition artistique. Ils apportent un éclairage sur l'oeuvre "brute", sans contextualisation pour le moment, suivant notre "règle du jeu".
Jean-Yves Amir a écrit:... En haut à gauche seul un très fin croissant de lune vient interrompre l'uniformité d'un ciel beige clair.
Là je peux t'aider à aller plus loin avec mes modestes compétences. Plus nous avançons dans l'étude des oeuvres d'Andrew Wyeth, plus se renforce ma certitude que le moindre détail a chez lui son importance. Ici la lune est dans sa phase dite de premier croissant, qui correspond au second ou troisième jour du cycle de la lunaison. Ce premier croissant signe de façon certaine un coucher de soleil derrière la colline.
Le soleil couchant est derrière la colline et pourtant une lumière semble émaner de cette dernière
alors que sa partie visible -du point de vue de l'observateur du tableau- devrait logiquement
être dans l'ombre, par effet de "contre-jour" :
Nous passons donc forcément de la réalité au symbolique. Or le soleil se couche à l'horizon ouest
ou occidental. L'étymologie du mot occident est latine :
"Provenç. occident ; espagn. et ital. occidente ; du lat. occidentem, de occidere, se coucher, tomber,
de ob, et cadere (voy. CHOIR)."
Source : http://www.littre.org/definition/occident
On retrouve la même étymologie dans occire, synonyme littéraire de tuer :
"Lat. occīdere, de ob, et caedere, tuer."
Source : http://www.littre.org/definition/occire
Sans connaître le contexte et ce qu'a écrit Andew Wyeth à propos de Spring, on peut déjà deviner une symbolique en rapport avec la mort, la colline y étant liée aussi. Nous sommes à la fin d'un jour, et très probablement à celle d'une vie. Dans le cycle annuel des saisons la phase correspondante serait l'automne - la fête chrétienne des défunts est le 2 novembre, au lendemain de la Toussaint-, d'où le paradoxe apparent du titre Spring, le printemps, qui est tout l'inverse. Ce paradoxe apparent nous pousserait a rechercher un second sens du mot spring, mais le printemps nous situe aussi à la fonte des neiges, ce qui est déterminant pour ce tableau et sa symbolique : De vieilles couches* de neige froide - de vieilles défenses ?- fondent et mettent l'homme à nu, dans les deux sens de l'expression ...
La musculature antérieure des cuisses - muscles quadriceps- de l'homme allongé est atrophiée, ce qui donne des rotules très proéminentes, signe qu'il est allongé depuis longtemps sans avoir marché. Il n'est pas mort car le sang afflue encore à ses pommettes : Ca n'est pas un visage cadavérique.
Jean-Yves aurais-tu un bon agrandissement possible sur les yeux du "moribond" ?
* Je suis aussi frappé par ces strates visibles sur la coupe verticale de la neige. Il doit aussi y avoir là une symbolique, c'est certain. Un gros plan possible sur ces strates ?
Puisque tu as fait des parallèles avec d'autres oeuvres, Jean-Yves, nous pouvons aussi faire un parallèle avec la colline de Winter,
les deux oeuvres ayant aussi en commun des noms de saisons. En commun aussi les traces de roues :
Northman- Messages : 547
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Re: O Etude de "Spring" (1978)
Pour l'instant, pas mieux que ceci:Northman a écrit:[justify]
La musculature antérieure des cuisses - muscles quadriceps- de l'homme allongé est atrophiée, ce qui donne des rotules très proéminentes, signe qu'il est allongé depuis longtemps sans avoir marché. Il n'est pas mort car le sang afflue encore à ses pommettes : Ca n'est pas un visage cadavérique.
Jean-Yves aurais-tu un bon agrandissement possible sur les yeux du "moribond" ?
Re: O Etude de "Spring" (1978)
Que t'inspirent cet oeil, ce regard, Jean-Yves ?
Northman- Messages : 547
Date d'inscription : 17/05/2015
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Localisation : Normandie
Re: O Etude de "Spring" (1978)
Northman a écrit:Que t'inspirent cet oeil, ce regard, Jean-Yves ?
Je le perçois comme ironique. Le vieil homme a une sorte de mince sourire. Son oeil à moitié fermé ne regarde pas vers le haut, il semble légèrement tourné vers nous spectateurs.
A vrai dire, il m'évoque un regard de comédien, et avec cette pommette rouge comme maquillée, c'est la commedia dell'arte qui me vient en image.
Et toi, que t'inspirent-ils?
Re: O Etude de "Spring" (1978)
Ce type de pommette très rouge pourrait être celui d'un alcoolique colérique gros mangeur de viande. On le voit aussi sur Karl (1948) :
Le premier regard immédiat sur Spring fait penser à un mort gisant sur l'herbe, à moitié pris dans la neige. Les pommettes rouges ne correspondent pas - pour un regard averti- à celles d'un visage cadavérique, et quand on zoome sur le visage, l'expression de la bouche, avec effectivement un discret et fin sourire en coin à peine esquissé, et celle des yeux donnent immédiatement une impression qui contraste franchement avec la première. C'est là que je verrais l'ironie : "Mais non, je ne suis pas encore mort, j'ai encore toutes mes capacités cérébrales, je vous ai bien eus"... quelque chose comme ça...
A y regarder de plus près la direction du regard est extrêmement précise ... Andrew Wyeth est extrêmement précis, nous commençons à le savoir. Tourné un peu vers le spectateur, donc un peu vers l'extérieur par rapport au plan axial du crâne et du nez, mais aussi, à bien y regarder, un peu vers le haut et vers la gauche , comme pour quelqu'un chercherait dans sa mémoire, de façon un peu méditative. Bref, la finesse de la bouche et ce regard donnent une seconde impression qui contraste nettement avec ce que trahissent les pommettes. On aurait affaire à un personnage complexe qui gagnerait à être connu, au-delà des premières apparences.
Jean-Yves, que t'inspire l'ornière juste derrière la tête du moribond, en bas à droite du tableau ?
Northman- Messages : 547
Date d'inscription : 17/05/2015
Age : 62
Localisation : Normandie
Re: O Etude de "Spring" (1978)
Oui, c'est tout à fait ça.Northman a écrit:C'est là que je verrais l'ironie : "Mais non, je ne suis pas encore mort, j'ai encore toutes mes capacités cérébrales, je vous ai bien eus"... quelque chose comme ça...
Cela rejoint mon idée de "comédien"...
A y regarder de plus près la direction du regard est extrêmement précise ... Andrew Wyeth est extrêmement précis, nous commençons à le savoir. Tourné un peu vers le spectateur, donc un peu vers l'extérieur par rapport au plan axial du crâne et du nez, mais aussi, à bien y regarder, un peu vers le haut et vers la gauche , comme pour quelqu'un chercherait dans sa mémoire, de façon un peu méditative. Bref, la finesse de la bouche et ce regard donnent une seconde impression qui contraste nettement avec ce que trahissent les pommettes. On aurait affaire à un personnage complexe qui gagnerait à être connu, au-delà des premières apparences.
Elle a un rôle important dans la composition car elle souligne la terre, le poids et la matérialité de la terre, l'ancrage au sol. La perspective de la trace a son importance aussi : elle indique le plan du sol, sans elle, le corps pourrait donner l'impression de "flotter", un peu comme l'assiette sur la table de Groundhog day.
Jean-Yves, que t'inspire l'ornière juste derrière la tête du moribond, en bas à droite du tableau ?
En suite, au niveau du sens, c'est curieux. Elle suggère que quelqu'un est venu là en voiture (ou en tracteur). Karl lui même?
Dernière édition par Jean-Yves Amir le Mer 29 Mar 2017 - 22:00, édité 1 fois
Re: O Etude de "Spring" (1978)
Jean-Yves Amir a écrit:
Elle [l'ornière] a un rôle important dans la composition car elle souligne la terre, le poids et la matérialité de la terre, l'ancrage au sol. La perspective de la trace a son importance aussi : elle indique le plan du sol, sans elle, le corps pourrait donner l'impression de "flotter", un peu comme l'assiette sur la table de Groundhog day.
J'ai rapidement effacé l'ornière pour voir ce que ça donne :
Que t'inspire la comparaison de ces deux images, Jean-Yves ?
Northman- Messages : 547
Date d'inscription : 17/05/2015
Age : 62
Localisation : Normandie
Re: O Etude de "Spring" (1978)
Northman a écrit:
Que t'inspire la comparaison de ces deux images, Jean-Yves ?
La seconde, celle avec l'ornière, donne vraiment l'impression que quelqu'un est passé au loin, a aperçu le corps dans la neige, puis s'est approché pour le voir de plus près : Wyeth lui-même?
Re: O Etude de "Spring" (1978)
En plus de tout ce que tu as déjà dit sur cette ornière située derrière la tête de Karl Kuerner, j'ajouterais, au vu de la comparaison des deux images ci-dessus, le sentiment que l'ornière est comme une blessure, comme un gros et profond coup de racloir ou de gouge qui vient "saloper" cette belle et paisible pelouse un peu paradisiaque. Un peu comme une grosse moto bruyante conduite par un hard rocker qui viendrait labourer un terrain de golf et en briser la quiétude. Cela te parle aussi ?
Une "blessure" dans le paysage qui symboliquement rejoindrait une profonde trace dans le psychisme et la mémoire du moribond - l'ornière est juste en arrière de sa tête- ?
Comme quelque chose de sombre, une rupture profondément engrammée, à la fois dans le paysage du tableau et symboliquement dans le psychisme de Karl Kuerner ?
Toujours par rapport à la tête de Karl Kuerner, il y a au-dessus la seule autre plaque de neige, en haut de la colline. Mais elle n'enveloppe pas un moribond ou un mort. Ou elle suggère quand même un mort, ou d'autres morts ?
Rappelons que le soleil est en train de se coucher derrière cette colline, non loin de l'alignement qui passe par cette seconde plaque de neige. Nous avons vu plus haut la symbolique du soleil couchant et de l'Ouest.
Car la question lancinante, quand on voit globalement le corps, puis qu'on est surpris par le regard et l'expression du visage, est bien "mais que peut il bien se passer dans sa tête" ? Connaissant Wyeth on cherche alors tous les indices qu'il a pu laisser sur le tableau, et l'on sait que la lecture symbolique des détails est elle aussi possible ...
Northman- Messages : 547
Date d'inscription : 17/05/2015
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Re: O Etude de "Spring" (1978)
Là je transgresse la règle du jeu en introduisant un premier degré de contextualisation, prenant simplement en compte la nationalité du peintre et donc sa langue, l'anglais.
Ornière est rut en anglais. Et ce mot comporte aussi un sens psychologique qui se rapproche fortement de ce que j'ai écrit dans le post ci-dessus :
En anglais une ornière peut donc aussi désigner une habitude, un schéma comportemental très ancré. "Profondément engrammé" me semble être la meilleure expression.
Northman- Messages : 547
Date d'inscription : 17/05/2015
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