Matisse, les vitraux de la chapelle du Rosaire à Vence

Northman a écrit:
Jugeant qu’« il vaut mieux faire appel à des hommes de génie sans la foi qu’à des croyants sans talents », le P. Couturier commande des œuvres d’art à Fernand Léger, Jean Lurçat, Henri Matisse...

Bon, je vais parler de Matisse et de la chapelle de Vence, à partir des photos que j'ai prises lors de ma dernière visite en 2008. C'est une belle et grande histoire, alors il va me falloir un peu de temps et de place pour la raconter tranquillement comme elle le mérite

Super, tu as toute la place dans la suite de ce sujet, car je n'y interviendrai pas pour d'autres sous-sujets tant que tu n'auras pas terminé ton récit sur la chapelle de Vence. Je vais te lire attentivement !

Impossible de résumer Matisse en quelques lignes, alors, pour situer les choses, je vais commencer par un raccourci saisissant.
En 1932, dans une lettre à chais plus qui, Picasso disait de lui avec une profonde estime "il porte un soleil dans le ventre".
En 1941, il a alors 72 ans, ce soleil tourne mal, Matisse est opéré d'un cancer de l'intestin.
Il faut essayer d'imaginer cela! En 1941 on ne sait pas soigner ça, encore moins que maintenant, et en plus on est en pleine guerre avec toutes les complications que cela pouvait représenter!

Il parait condamné, et pourtant Matisse va vivre encore 13 ans jusqu'en 1954, et non seulement survivre mais continuer à produire des oeuvres de grande ampleur comme cette chapelle de Vence.

Ses infirmières l'appellent "le ressuscité". Il porte un corset métallique, se déplace en fauteuil roulant, doit rester souvent alité, et pourtant il continue à créer...

Northman a écrit:
Super, tu as toute la place dans la suite de ce sujet, car je n'y interviendrai pas pour d'autres sous-sujets tant que tu n'auras pas terminé ton récit sur la chapelle de Vence. Je vais te lire attentivement !

N'hésitez pas à intervenir, quand même!!

On a souvent de Matisse, il me semble, une image édulcorée.
L'image d'un peintre confortable, la peinture "dans un bon fauteuil" comme il l'a dit lui même quelque part. Les belles couleurs, la côte d'azur, les palmiers... Tout cela n'est qu'une part de sa personnalité.

Or Matisse est au fond de lui-même un homme d'une grande tension, une énergie capable de faire péter tous les cadres.
Voici des détails de "Poissons rouges et palette" (1914) qui donnent, je crois, une idée de cette intensité.

Durant cette période qui précède la commande de la chapelle de Vence, Matisse est très inquiet du sort de sa femme et de sa fille, Marguerite, engagées dans la résistance:
"En avril 1944, Amélie (la femme de Matisse) et le 21 mai 1944 Marguerite Matisse-Duthuit (sa fille) sont arrêtées par la Gestapo, pour faits de résistance. Madame Amélie Matisse est condamnée à six mois de prison (elle est libérée en septembre 1944), tandis que Marguerite Matisse, la fille du peintre, est torturée et défigurée39. Marguerite Matisse dite « Jeannette » appartient au Front National clandestin et à l'organisation de Francs Tireurs et Partisans Français.Elle participe à des actions armées et a fourni des armes aux F.T.P. Elle parvient à s'enfuir à Belfort du train de déportation qui l'emmenait vers le camp de Ravensbrück. Elle est recueillie dans un premier temps par la famille de Léon Delarbre, peintre résistant et déporté, connu pour avoir réussi à ramener avec lui des dessins réalisés dans les camps d'extermination (musée de la Résistance à Besançon). Marguerite Matisse est ensuite prise en charge par la Croix-Rouge qui la cache au sein de la famille Bruno de Giromagny, et libérée en octobre 1944. Matisse la revoit en janvier et février 1945. Sous le coup d'une émotion intense, Henri Matisse dessine de nombreux portraits de sa fille dont le dernier de la série montre un visage enfin apaisé"

Source https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Matisse

Celui-ci date de 1907 quand elle avait à peine 12 ou 13 ans.
MATISSE 1907 PORTRAIT DE MARGUERITE

Suite à ce contexte difficile, deux facteurs décident Matisse à réaliser les vitraux et l'intérieur de la chapelle de Vence:
- d'une part son attachement à son infirmière et modèle Monique Bourgeois qui deviendra soeur Jacques-Marie en 1946. Leurs relations sont bien décrites ici http://lepetitrenaudon.blogspot.fr/2014/12/matisse-et-sur-jacques-vence.html



- d'autre part la correspondance de dimensions entre l'atelier de l'hôtel Regina, à Nice, où il vit, et celles de la chapelle. Cela va lui permettre de travailler à la conception de ce lieu en grandeur réelle et sans bouger de chez lui:

Après son opération, en 1941, Matisse ne peut plus peindre. Ses conditions de vie et de santé l'en empêchent. Il développe alors la technique des "gouaches découpées" d'une mise en oeuvre plus simple. Les papiers sont gouachés par des assistants, Matisse découpe les formes et les dispose sur des panneaux, ou souvent directement aux murs.
En 1947


En 1952 à l'hotel Regina


Grâce à cette technique, l'oeuvre de l'artiste connaît un nouvel essor durant les 13 dernières années de sa vie. D'un point de vue plastique, deux aspects la caractérisent:

- La possibilité de dessiner directement dans la couleur avec les ciseaux. Les contradictions entre dessin et couleur ont toujours préoccupé Matisse. Il trouve là une solution radicalement simple et novatrice.
- La possibilité de développer une tentation que Matisse a toujours eue, celle de la décoration, en intervenant directement sur les murs, dans un espace réel.


LA PISCINE 1952

Revenons maintenant à la chapelle du Rosaire et à ses vitraux. Le travail préparatoire dure 4 ans de 1946 à 1950. Matisse utilise la technique des gouaches découpées pour réaliser les maquettes des vitraux.
Il en produit en fait trois versions successives.
(Source: Catalogue des gouaches découpées, Jean Guichard-Meili, Hazan 1983)

La première version est la composition connue sous le titre "Les abeilles" (1948)



La seconde est intitulée "Vitrail bleu pâle" (1949)





La troisième, "L'arbre de vie" (1949) est celle qui sera finalement réalisée.

Je complète avec cette image plus détaillée du collage prévu pour les deux vitraux du sanctuaire, dans la version n°2:

Mais pour bien comprendre comment Matisse a conçu l'ensemble de l'aménagement intérieur de la chapelle, il faut maintenant s'attarder sur la maquette. Maquette réalisée, je crois, par la soeur Jacques-Marie.

Cette première photo est très intéressante car elle montre à quel point l'artiste travaillait sur deux échelles simultanément. Celle en réduction de la maquette, et celle grandeur nature des gouaches découpées sur les murs, que l'on distingue en arrière plan.



Cette deuxième vue permet de comprendre le dispositif qui se divise en deux grands ensembles. Côtés sud et ouest, les vitraux. Côtés nord et est, les dessins.

Matisse parle de sa chapelle (Entretien avec Georges Charbonnier 1950-53)